Thursday, April 22, 2010

Djemila Benhabib on the recent attacks on women in Algeria's Hassi Messaoud

Algerian author and activist Djemila Benhabib wrote the following text in reaction to the recent violent attacks on women in Hassi-Messaoud, in Algeria. The French version is followed by my English translation. Please get involved by sharing either or both versions as widely as possible.
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«Une femme libre, les scandalise! » Kateb Yacine

J’ai frémi de douleurs lorsque j’ai appris l'horreur dont sont victimes des femmes travailleuses à Hassi Messaoud. Une fois la nuit tombée, des dizaines de lâches armés jusqu'aux dents se sont transformés en justiciers de l’ordre moral, en traquant des travailleuses jusque dans leurs modestes logements pour marquer leur chair du sceau de l’infamie et leur infliger les pires sévices. Singulièrement, pour m’extraire du choc que je venais de subir par cette lugubre nouvelle, Kateb Yacine est venu à ma rescousse pour me dire : «Une femme libre, les scandalise! ».



Lorsque la ville sombre dans le noir, une pluie de malédictions s’abat sur ces travailleuses venues des quatre coins du pays pour gagner leur pain. Soutiens de famille pour la plupart, elles ont renoncé à leur milieu de vie habituel pour parcourir des centaines de kilomètres et nourrir plusieurs bouches. Leurs gîtes ont été saccagés et leurs effets personnels volés et, comme si cela ne suffisait pas, les viols et les tortures se sont multipliés et banalisés sans que cela n’ébranle, outre mesure, les services de police complices de ces atrocités. Qu'arrive-il à cette ville, l'une des plus sécurisées du pays où se bousculent les compagnies pétrolières étrangères? La ruée vers l’or noir obscurcit-elle tant les esprits? Que se passe-t-il dans cet îlot orangé du Sahara où poussent le laurier-rose et l’eucalyptus et qui fait courir les touristes européens friands de méditation, de nuits étoilées et de thé vert? L’histoire retiendra qu’à l’ombre de l’oasis où les torchères crachent leurs volutes de fumée vers le ciel et où le dollar est roi, coule le sang des femmes, témoins d’un âge qu’on pensait révolu. Les corps de ces travailleuses porteront, pour toujours, à tout jamais, les stigmates de ces nuits rythmées de leurs cris de souffrance. Saigner les travailleuses et ouvrir grands les bras aux compagnies étrangères pour pomper les richesses du pays, est-ce la conception du développement économique version 2010? Hassi-Messaoud aurait pu devenir une source folle d’espérance, elle qui a su transformer cette terre ingrate en symbole de richesse. Et pourtant le miracle n’est que mirage. Qu’est-ce que la richesse d’un pays lorsqu’elle se bâtit sur la douleur des femmes ? Aujourd’hui, au delà des maux qui submergent mon être, je suis traversée par une immense colère car j’ai le sentiment que la barbarie qu’a connue Hassi Messaoud en juillet 2001 (et qui a fait une cinquantaine de victimes dans le quartier d’El Haïcha - toutes des femmes - à la suite d'un prêche virulent d'un obscur imam) se répète.

Comment se faire une raison lorsque la vie des femmes n’est que broutille? Comment se faire une raison lorsqu’on les identifie aux tares de la société? Comment se faire une raison lorsque le travail des femmes est érigé en crime et que le meurtre est promu en norme sociale? Comment se faire une raison lorsque les commissariats de police se transforment en lieux de lynchage pour crucifier les victimes et célébrer les bourreaux? Comment se faire une raison lorsque la justice s’égare et que l’injustice est érigée en système? Que faire pour déchirer le voile opaque de l'indifférence? Que faire pour crever le monstrueux silence des interdits, cache-sexe de l’islamisme? Est-ce possible que la représentation qui rend sataniques les femmes, si chère aux islamistes, ait triomphé? Est-ce possible que la politique de l’amnésie générale du président Bouteflika ait fini par faire son œuvre? Est-ce possible que l'Algérie marche à reculons? Est-ce possible que l’Algérie régresse cruellement?



Il y a, au moins, une évidence qui rebondit à chaque fois que l’histoire balbutie à l’ombre des interdits et des injustices, nulle lumière, nulle aube ne peut se lever. En effet, le Code de l’infamie adopté en 1984 continue de nourrir les violences à l’égard des femmes en les subordonnant aux hommes. Si l’on ajoute à cela l’intoxication intégriste et la vétusté des sphères éducatives, sociales et culturelles à commencer par le système éducatif, inutile de se surprendre des terribles dérives actuelles. Tout ce qui permet à l’être humain de se construire et à un peuple de s'épanouir est proscrit et banni par le régime bouteflikien. Est-ce de cela dont ont rêvé les moudjahidates de la guerre de libération? Est-ce de cela dont rêvaient les marcheurs du 22 mars 1993? Est-ce de cela dont rêvaient les victimes du terrorisme islamiste? J’en doute fort. Aujourd’hui, j’ai mal à mon Algérie pour le sort qu’elle réserve à ses femmes. Le degré de développement d'un pays se mesure au degré d’émancipation des femmes, disait Engels. Et nous en sommes loin en Algérie, terriblement loin. Le développement y est tel un mirage. Exactement comme Hassi-Messaoud m’apparaît… comme un mirage, le mirage du développement. Quelle désolation ! --Djemila Benhabib, auteure de Ma vie à contre-Coran.

English Translation of Djemila’s text:

I trembled with pain upon learning of the horrors suffered by women working in Hassi Messaoud. As night fell, dozens of cowards, armed to the teeth, turned into dispensers of moral justice, hunting down these women in their modest homes, marking their flesh with the seal of infamy, inflicting the worst abuses on them. As I reeled from this lugubrious news, Katib Yacine’s words came to my rescue: “A free woman offends them!”

As the city sinks into darkness, a rain of curses crashes down on these women who have come from the four corners of the country to work. Most of them are the sole providers for their families; leaving their lives behind, they relocated hundreds of kilometers away in order to feed hungry mouths. Their cottages have been ransacked, their personal belongings stolen, and as if that were not enough, the rapes and tortures perpetrated against them have multiplied and have been trivialized – without inordinately troubling the police force, a party to the atrocities. What’s happening to this city, one of the country’s most secure, where foreign oil companies are nearly tripping over each other? Have people’s minds been that darkened by the rush for black gold? What’s going on here in this Saharan oasis of orange, oleander and eucalyptus, this haven for European tourists partial to meditation, starry nights and green tea? History will remember the blood of women flowing in the dark corners of the oasis where flares spit their curls of smoke up towards the sky, where the dollar is king. These women bear witness of a time we thought in the past; their bodies will forever carry the stigma of these nights punctuated by their screams of suffering. Bleeding women and wide-open arms welcoming foreign companies to drain the country’s wealth: is this 2010’s conception of economic development? Hassi-Messaoud, whose hostile land was transformed into a symbol of wealth, could have become a wild spring of hope. But the miracle is merely a mirage. What is the wealth of a country when built upon the suffering of its women? Today, above and beyond the pain engulfing me, I am filled with incredible anger, because I have the feeling that the barbarism that took place in Hassi Messaoud in July of 2001 (with 50 victims in the neighborhood of El Haïcha – all women – following a virulent sermon by an obscure imam) is happening all over again.


How can we accept it when women’s lives count for so little? How can we accept it when they are considered as a defective element of society? How can we accept it when the work of women is set up as a crime and murder is promoted as a social norm? How can we accept it when police stations are transformed into lynching stations for crucifying the victims and singing the praises of their hangmen? How can we accept it when justice goes astray and injustice takes its place? What can we do to rip the opaque veil from indifference? What can we do to break down the monstrous silence of what is forbidden, the G-string of Islamism? Can it be that this representation of women as satanic, so dear to Islamists, has won out? Can it be that President Bouteflika’s political posture of general amnesia has finally done the job? Can Algeria be moving backwards? Can it be that Algeria is regressing cruelly?

There is at least one obvious fact that rebounds each time history falters in the shadows of bans and injustices: no light, no dawn can rise. The Code of infamy adopted in 1984 continues to foster violence on women in subjugating them to men. If we add to this fundamentalist intoxication and obsolete educational, social and cultural circles, beginning with the educational, we shouldn’t be surprised by today’s terrible trend downwards. Everything that permits human beings to develop, all that allows a people to grow is proscribed and banished by the Bouteflikien regime. Was this the Moudjahidate dream during the war for liberation? Was this the dream of the March 22 protestors in 1993? Is this the dream of the victims of Islamist terrorism? I very much doubt it. Today, I ache for the fate my Algeria’s women. The degree of a country’s development is measured by the emancipation of women, Engels said. And we’re far from that in Algeria, so very far. Development is like a mirage there. Exactly as Hassi-Messaoud appears to me… like a mirage, a mirage of development. What anguish!

--text written by Djemila Benhabib, author of Ma vie à contre-Coran
--English translation of text by Jean Leslie Baker